La lèpre, un fléau marqué par la discrimination en Côte d'Ivoire

Alors que la lèpre continue de sévir en Afrique, la Côte d'Ivoire tente de se débarrasser de cette maladie tropicale négligée.

Badr Kidiss avec AFP
Badr Kidiss avec AFP
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Le docteur Roch Christian Johnson, responsable des projets santé de la Fondation Raoul Follereau, examine une patiente
Le docteur Roch Christian Johnson, responsable des projets santé de la Fondation Raoul Follereau, examine une patiente  —  Fondation Raoul Follereau

Elle brise des vies. Bien que la lèpre ne soit plus un problème de santé publique en Côte d'Ivoire, cette maladie reste endémique dans le pays avec 500 cas dépistés par an dont 9 % sont des enfants et 25 % ont développé des invalidités. 

"Une semaine avant que ma mère ne décède, sa maison a été cassée et brûlée. Après son enterrement, des femmes dansaient dans le village car selon elles, le mal était parti. Je suis marqué à vie”, confie Mathieu Okoma Agoa, adjoint du chef du village de Duquesne-Crémone. Cet endroit est d'ailleurs depuis les années 1960 le refuge de malades de la lèpre et de leurs proches, qui fuient l'exclusion sociale. 

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"Ici, nous nous sentons chez nous"

A première vue, cette commune de 2.800 habitants, à une centaine de kilomètres d'Abidjan, est un village ivoirien comme un autre. Mais Duquesne-Crémone, isolé au bout d'une longue piste qui fend une immense forêt, est à l'abri du regard des autres. Le village compte encore 54 malades de la lèpre. 

"Ici, nous nous sentons chez nous," affirme le chef Kouassi Assi, père de quatre enfants et professeur de mathématiques. Un kilomètre plus loin, en suivant la même route, Gisèle Abena, jeune femme de 29 ans se fait soigner à l'institut Raoul Follereau. Ce centre hospitalier de la fondation française du même nom lutte contre la lèpre et l'ulcère de buruli, une infection de la peau, depuis presqu'un siècle et accueille 157 patients. 

Assise en fauteuil car la lèpre a rongé ses pieds, Gisèle Abena sort de l'une des bâtisses de couleur pastel regroupées sur 42 hectares, dont les fenêtres ouvertes laissent entrer la chaleur tropicale. Des cicatrices d'anciennes plaies parsèment ses mains et ses pieds. "Je me sens bien ici, on est beaucoup et je me suis fait des amis”, explique timidement cette mère de deux enfants. Originaire de Bondoukou, elle ne souhaite pas retourner dans son village natal où elle est encore stigmatisée. 

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Une maladie désocialisante et méconnue

"Le microbe de la lèpre désocialise les malades. Il déforme le visage, les empreintes. Le malade ne se reconnaît plus lui-même, et celui en face de lui ne le reconnaît pas non plus. C’est comme s’il n’existait plus vraiment. Je trouve cela d’autant plus terrible que le patient garde toutes ses facultés mentales”, détaille le professeur Bamba Vagamon, directeur général de l'institut Raoul Follereau. Avant d'ajouter qu'"entre 70 et 80% des malades ont un symptôme dépressif”.

Si la vie à Duquesne-Cremone se présente comme une alternative rassurante à la sortie du centre, le personnel soignant et celui de la fondation souhaitent le retour des anciens malades dans leur famille, souvent méfiante car mal informée."Jusqu’en 2015, même les universités de médecine de Côte d’Ivoire ne proposaient pas d’enseignement sur la lèpre”, ajoute le professeur Vagamon, à l’initiative de ce changement, il y a 8 ans. 

La lèpre se transmet au terme d'un contact prolongé. Le microbe se multiplie très lentement, pouvant faire durer la période d'incubation jusqu’à 5 ans. Les premiers symptômes font apparaître des tâches, puis rongent progressivement des membres désensibilisés.  

Zéro lèpre en Côte d'Ivoire d'ici 2030

Selon le professeur Vagamon, l'objectif "zéro lèpre d'ici 2030" lancé par le ministère de la Santé ivoirien en 2022 est atteignable, notamment grâce à la sensibilisation des enfants dans les écoles.Représentant 10% des cas de lèpre, les enfants des zones rurales sont régulièrement touchés par diverses maladies de peau.

"Ils arrivent souvent fatigués en classe et ont du mal à se concentrer parce qu’ils se grattent beaucoup. Ça ralentit l'apprentissage”, déplore Pierre Bazié, directeur adjoint de l'école du village de Djougbosso, dans la région d'Adzopé. Ils sont les cibles de dépistages organisés par l'Etat et financés par la fondation Raoul Follereau, afin qu'ils comprennent les dangers de la maladie.

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